🇫🇷 Le futur
Et je sais très bien que tu n’y seras pas.
Tu ne seras pas dans la rue, dans le murmure qui jaillit
la nuit
des réverbères, ni dans le geste
de choisir le menu, ni dans le sourire
qui soulage les métros complets,
ni dans les livres prêtés ni dans les mots à demain.
Tu ne seras pas dans mes rêves,
ni dans le destin original de mes mots,
ni dans un chiffre téléphonique
ou la couleur d’une paire de gants ou d’une blouse.
Je me fâcherai, mon amour, non pas à cause de toi,
et j’achèterai des bonbons mais pas pour toi,
je serai debout au coin d’une rue où tu ne viendras pas,
et je dirai les mots qui se disent
et je mangerai les choses qui se mangent
et je rêverai les rêves qui se rêvent
et je sais très bien que tu n’y seras pas,
ni ici dedans, la prison où encore je te retiens,
ni là dehors, ce fleuve de rues et de ponts.
Tu ne seras pas du tout, tu ne seras même pas un souvenir,
et si je pense à toi, je penserai une pensée
qui obscurément essaye de t’évoquer.
JULIO CORTÁZAR
(Bruxelles 1914 – Paris 1984)
« Crépuscule d’automne »
🇦🇷 El futuro
Y sé muy bien que no estarás.
No estarás en la calle, en el murmullo que brota de noche
de los postes de alumbrado, ni en el gesto
de elegir el menú, ni en la sonrisa
que alivia los completos de los subtes,
ni en los libros prestados ni en el hasta mañana.
No estarás en mis sueños,
en el destino original de mis palabras,
ni en una cifra telefónica estarás
o en el color de un par de guantes o una blusa.
Me enojaré amor mío, sin que sea por ti,
y compraré bombones pero no para ti,
me pararé en la esquina a la que no vendrás,
y diré las palabras que se dicen
y comeré las cosas que se comen
y soñaré las cosas que se sueñan
y sé muy bien que no estarás,
ni aquí adentro, la cárcel donde aún te retengo,
ni allí fuera, este río de calles y de puentes.
No estarás para nada, no serás ni recuerdo,
y cuando piense en ti pensaré un pensamiento
que oscuramente trata de acordarse de ti.
JULIO CORTÁZAR

Statue de Julio CORTÁZAR, avenue Lepoutre, Ixelles